« Justice, dignité et décence pour les victimes du régime Habré »


Lecture 5 min.
Drapeau du Tchad
Drapeau du Tchad

Dans un communiqué de presse daté du 15 juin 2010, les avocats de Hissène Habré tentent, en désespoir de cause, de remettre en question la capacité du Sénégal d’organiser un procès équitable pour juger l’ancien chef d’Etat tchadien. Ce faisant, ils ont recours aux procédés classiques de ceux arrivés à court d’arguments: accusations calomnieuses, insinuations fallacieuses et propos de nature révisionniste.

Alors que l’opinion publique sénégalaise, africaine et internationale prend chaque jour un peu plus conscience de l’immense souffrance des victimes et de la nécessité de leur rendre justice, ces attaques constituent une volonté de porter atteinte aux victimes elles-mêmes. Les défenseurs d’Hissène Habré les accusent ouvertement de « manipuler et [de] monter un procès de toutes pièces », insinuant qu’elles agiraient pour le compte d’Idriss Déby et recevraient un « financement occulte » de la part du Colonel Kadhafi (sic!).

Pour tous ceux qui ont été torturés ou violés, pour tous ceux qui ont perdu leurs parents et qui luttent depuis bientôt 20 ans pour obtenir justice, il est tout simplement insoutenable et indécent d’être qualifié de « prétendues victimes ». Ces propos fallacieux sont démentis par les propres archives de la DDS, la tristement célèbre police politique de Hissène Habré « directement subordonnée à la présidence » selon son statut, qui rappellent à ceux qui l’auraient oublié le caractère méthodique de la répression massive organisée contre le peuple tchadien. Parmi ces archives, a notamment été retrouvé le certificat de décès du Sénégalais Demba Gaye, mort dans les geôles de Hissène Habré le 15 novembre 1987, comme tant d’autres – au moins 1208 selon ces documents. De même, ces archives confirment dans le moindre détail le témoignage du Sénégalais Abdourahmane Guèye sur sa détention. L’existence de ces faits ne peut être niée tout comme leur souvenir hantera à jamais la mémoire des victimes.

Les avocats de Habré s‘offusquent par ailleurs d’une « confusion des genres » sous prétexte que certains avocats des victimes occupent un rôle au sein d’ONG de défense des droits humains. Qu’y-a-t-il de plus normal pour ces ONG que de prendre la défense de ces victimes? Et faut-il rappeler que ce sont ces mêmes avocats qui se sont vigoureusement opposés à l’extradition de Hissène Habré au Tchad, où les conditions requises pour un procès équitable ne sont pas réunies ?

En outre, le fait d’accuser les victimes et ceux qui les soutiennent d’une « collusion » avec les autorités tchadiennes est profondément insultant. En particulier, lorsqu’on sait que Me Jacqueline Moudeina, Présidente de l’Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH) et principale avocate des victimes, a été sévèrement blessée par les éclats d’une grenade lancée contre elle à la suite d’une tentative d’assassinat commanditée par l’un des anciens responsables de la DDS, toujours en activité au sein du gouvernement actuel. Ou encore, lorsqu’on sait que Souleymane Guengueng, Président fondateur de l’Association des Victimes de Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP), a perdu son travail et a dû, comme tant d’autres, prendre le chemin de l’exil à la suite des menaces qu’il a reçues. Comment ces militants pourraient-ils agir pour le compte d’un gouvernement qui les opprime ?

Mais l’attaque la plus mesquine et déplorable est celle qui est dirigée contre Maître Demba Ciré Bathily, coordinateur du collectif des avocats sénégalais défendant les victimes, l’accusant d’avoir reçu de l’argent de la part du Consul du Tchad à Dakar. Les avocats de Hissène Habré colportent des rumeurs inventées de toutes pièces n’hésitant pas à se faire l’écho de propos purement calomnieux et diffamatoires sous forme d’un communiqué qu’ils n’ont même pas osé signer nommément pour ne pas s’exposer à des poursuites pour diffamation, sachant ne pouvoir fournir aucune preuve de leurs allégations. Maître Bathily a opposé un démenti formel contre ces propos et le Comité de Pilotage lui renouvelle sa pleine et entière confiance.

Les victimes du régime de Hissène Habré luttent sans relâche depuis près de deux décennies.La première inculpation de Hissène Habré par le doyen des juges d’instruction sénégalais date de plus de 10 ans. Plus de 4 ans se sont écoulés depuis la constatation par le Comité des Nations Unies contre la Torture de la violation par le Sénégal de la Convention contre la torture et sa demande à ce que le Sénégal se conforme à ses engagements internationaux soit en poursuivant Hissène Habré, soit en l’extradant vers un pays en mesure de le juger de façon équitable. Cela fait également 4 ans que l’Union Africaine a donné mandat au Sénégal de juger Hissène Habré « au nom de l’Afrique ». Pendant ce temps, de nombreuses victimes meurent chaque année et les survivants attendent toujours le procès.

Nous restons sereins et continuerons de nous battre aux côtés des victimes jusqu’à ce que justice leur soit rendue.

Le procès équitable de Hissène Habré au Sénégal constituera une étape importante dans la lutte contre l’impunité des dirigeants accusés de crimes contre l’humanité en Afrique et dans le monde. Au moment où d’aucuns déplorent le spectacle de certains responsables africains poursuivis par des instances non-africaines, le procès de Hissène Habré est l’occasion de démontrer que les tribunaux africains sont souverains et capables de rendre justice aux victimes africaines pour des crimes commis en Afrique. Nous appelons le Sénégal à agir à la hauteur de sa réputation d’Etat respectueux du droit international et des droits humains et d’organiser sans plus tarder un procès juste et équitable à Hissène Habré.

Le Comité de Pilotage du Comité International pour le Jugement Equitable de Hissène Habré :

 Jacqueline Moudeina, Présidente, Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH);

 Reed Brody, Conseiller Juridique et Porte-Parole de Human Rights Watch ;

 Souleymane Guengueng, Fondateur, Association des Victimes de Crimes et de Répressions Politiques au Tchad (AVCRP);

 Alioune Tine, Président, Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO) ;

 Dobian Assingar, Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News