Albert Camus déchaîne les passions en Algérie


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Albert Camus
Albert Camus

La « Caravane Albert Camus 2010 » passe mal en Algérie. Conçu dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de la mort de l’écrivain, ce projet littéraire itinérant est depuis quelques semaines dans le collimateur d’un certain nombre d’intellectuels algériens qui, initiateurs d’une pétition, crient au retour de l’«Algérie française». Yasmina Khadra, le directeur du Centre culturel algérien (CCA) à Paris, qui soutient la démarche, croit «halluciner» devant une charge si sévère.

Coup de gueule de l’écrivain Yasmina Khadra dans les colonnes de L’Expression ce jeudi : « Ils sont là, les doigts dans le nez, à ne rien fiche de la journée, et dès qu’il y a l’ébauche d’une initiative, ils s’extirpent de leur sommeil post-digestif pour ruer dans les brancards! ». « Ils », ce sont des intellectuels algériens qui ont lancé une pétition contre l’arrivée d’une manifestation itinérante, « La Caravane Albert Camus 2010 », en avril prochain en Algérie. Cinquante années se sont écoulées depuis la mort de l’écrivain. Les griefs sont vivaces. Yasmina Khadra « en hallucine ».

Fêté en France, le cinquantenaire de la disparition du père de l’Etranger n’en finit pas de déchaîner les passions de l’autre côté de la Méditerranée. Certains y voient un écrivain majeur, se rappelant d’un humaniste de génie, de l’auteur du premier reportage sur la Misère en Kabylie ; d’autres le considèrent comme un colonialiste, lui reprochant son manque d’engagement vis-à-vis de la guerre d’Indépendance. C’est le cas de Mustapha Madi, directeur de collection aux éditions Casbah, à l’origine, il y a quelques semaines, de la pétition anti-Camus. D’autres universitaires et journalistes algériens l’ont rejoint depuis. Sous le titre « Alerte aux consciences anticolonialistes », ils dénoncent une « réhabilitation du discours de l’Algérie française » à travers les hommages rendus à l’auteur de L’Homme révolté. « Dès 1937 et jusqu’en 1939, Camus n’a cessé d’appeler à des mesures de charité pour couper l’herbe sous les pieds des nationalistes avec point d’orgue sa couverture du procès de Messali Hadj en 1939. En 1945, il s’est tu [allusion aux massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, le 8 mais 1945, ndlr] », accusent les signataires. « Idiotie ! », rétorque le journaliste et auteur Youcef Zirem. « Depuis de longues années, les intellectuels corrompus, à la solde du pouvoir, critiquent Camus sans l’avoir lu, charge-t-il. Camus a écrit son reportage de Misère de Kabylie, avant tout le monde. Camus est Algérien qu’on le veuille ou non. Il est né en Algérie. Il a aimé ce pays par-dessus tout (…) Le seul reproche qu’on peut faire à Camus, c’est de ne pas avoir vraiment connu de près la culture musulmane de la population. »

Camus adulé, Camus vilipendé

Yasmina Khadra, qui dirige le Centre culturel algérien (CCA) à Paris, a accepté d’être partenaire du projet « La Caravane Albert Camus 2010 ». Sur les colonnes de L’Expression, il s’en explique : « Les motivations qui m’ont amené à m’investir dans cette démarche sont simples: proposer aux Algériens, notamment à nos étudiants, un débat intelligent sur un grand écrivain, né en Algérie, adulé par les uns et vilipendé par les autres, prix Nobel de littérature. Notre pays tente timidement de renouer avec la chose intellectuelle. J’essaie de contribuer à ce sursaut sans lequel la médiocrité et l’ignorance squatteraient notre esprit. »

La tournée de la Caravane Camus en Algérie « est maintenue », a indiqué jeudi, jointe par Afrik.com, l’instigatrice du projet Sabah M’Rakach, qui n’a toutefois pas souhaité s’étaler sur la polémique. Après une tournée dans 5 villes en France, la Caravane, qui comprend la projection d’un documentaire et des lectures, devrait effectuer une tournée dans 8 villes en Algérie : Alger, Annaba (ville de naissance de l’écrivain), Sétif, Tamanrasset, Tizi Ouzou, Tipaza, Tlemcen et Oran. Un périple qui aura lieu semble-t-il en dépit du fait que le ministère de la Culture algérien, sollicité pour son patronage, « n’a pas encore donné sa réponse », indique Sabah M’Rakach.

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