Tchéïta, la rebelle de Port-au-Prince


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Tchéïta, 36 ans, vit en France depuis janvier 2004. La journaliste a dû quitter son pays pour fuir les menaces et la violence qui minaient son pays, Haïti. En dépit des difficultés, et des nécessaires « bifurcations », elle n’a jamais abandonné son métier, le journalisme. Elle revient, pour Afrik.com, sur son parcours.

Dans sa vie, Tchéïta a tout choisi, sauf l’exil. A 36 ans, cette femme haïtienne mène sa vie à toute vitesse. Rédactrice en chef depuis un an de Quasimodo, la radio de l’association France terre d’Asile, cette rebelle est arrivée en France en janvier 2004. Comme d’autres, elle a connu les difficultés inhérentes au fait d’être une journaliste exilée venant d’un pays en voie de développement. Mais cette dure-à-cuire a toujours tenu à rester journaliste. A son arrivée à Paris, elle est d’abord hébergée par des particuliers qui acceptent de l’aider. Puis, quelques mois plus tard, à la Maison Des Journalistes (MDJ) où elle comprend vite que sa vie va prendre un tournant majeur. « Je n’ai jamais oublié que je suis journaliste, mais j’ai dû mettre ce travail en sourdine pour trouver un logement car j’allais bientôt être mère. Pour cela, j’ai fermé les yeux sur les boulots que je trouvais. Ce n’est pas un manque de fierté mais c’est justement parce que je l’étais que j’ai compris qu’il me fallait avancer à tout prix. Pour pouvoir revenir à mon objectif plus tard, peu m’importait de bifurquer », confie Tchéïta. Une fois loin de la Maison, elle continue ses rubriques pour L’œil de l’exilé, le journal de la MDJ, malgré ses petits boulots. Pas de quoi fatiguer cette boulimique de travail qui dit n’avoir besoin que de cinq petites heures de sommeil par nuit !

Itinéraires de journalistes exilés

Poussés à fuir leur pays pour sauver leur vie, les journalistes exilés mènent souvent une existence difficile en France, où se loger et retrouver un travail dans la presse est une gageure. Afrik.com a rencontré quatre d’entre eux – Hassan, Rémy, Saïd et Tchéïta – originaires d’Afrique et de la Caraïbe, anciens pensionnaires de la Maison des journalistes (MDJ), à Paris. Nous vous proposons, cette semaine, leurs portraits. Lire la suite

Déjà adolescente, ce petit bout de femme travaille en donnant des cours pour adultes dans son quartier. « Besoin d’indépendance », explique t-elle. « J’ai travaillé pour trente dollars haïtiens par mois, ce qui n’est rien du tout, mais je m’en moquais. Je ne voulais pas que l’on me donne de l’argent de poche », poursuit la jeune maman. Plus tard, elle choisit le droit pour faire plaisir à son père qui la veut avocate. Pourtant, Tchéïta n’est pas vraiment femme à suivre les opinions des autres, fussent-ils de sa famille. Très vite, elle déménage de chez ses parents et opte pour le journalisme, au grand dam de ces derniers.

Issue d’une famille de la classe moyenne, ses parents possèdent un abonnement à un journal local. Un petit luxe, en Haïti, que la jeune fille, curieuse, apprécie. Une fois formée, faire de la radio sonne comme une évidence. « Ce média m’a toujours attirée, et Haïti est un pays à culture orale. Partout dans le pays, chacun à son petit poste. » Sans abandonner son poste d’enseignante, elle travaille dans plusieurs radios d’Haïti avant d’être embauchée à Télé Radio Timoun. Lorsqu’elle y entre, en 2001, la ligne éditoriale basée sur l’éducation lui plaît beaucoup. « Avant les évènements (de 2003, ndlr), on passait très peu de politique, on était plutôt accès sur l’éducation, la jeunesse. En créole, « timoun » veut dire enfant et, là-bas, mêmes les jeunes adultes sont encore considérés comme des enfants! »

Les « Chimè » dégradent le climat

Fin 2003, le climat est tendu dans la capitale. Des manifestations anti-Jean-Bernard Aristide, le président de l’époque, se multiplient. Les membres de la milice de l’homme fort de Port-au-Prince, appelés « chimè », descendent dans les rues pour le soutenir, ce qui entraine des agressions et des incendies. « La radio télé Timoun est la propriété privée du président, alors nous subissions une pression trop forte, et on recevait beaucoup de menaces. Je suis un grande gueule donc la majorité des menaces pesait sur ma personne », se rappelle la journaliste. A l’époque, les journalistes de cette radio deviennent des cibles. « Matin, midi et soir, il fallait chanter la gloire d’Aristide. De plus, les « chimè » étaient présents et armés lors de nos conférences de rédaction. C’était très stressant. La milice débarquait aussi pour faire passer leurs déclarations. Si on ne le faisait pas, ils revenaient le lendemain pour nous menacer », raconte Tchéïta. Une situation devenue insupportable pour la journaliste haïtienne.

Avec son compagnon, lui-même journaliste dans la même radio, ils choisissent le maquis puis l’exil. Ils passent d’abord par la République Dominicaine, pays limitrophe de Haïti, où ils passent deux mois. « Il fallait se faire passer pour des étudiants au contact de la population et le reste du temps, se cacher constamment, c’était très éprouvant », se rappelle Tchéïta. De là, ils cherchent un point de chute où être accueilli. Lors de ses recherches, elle entend parler de la Maison Des Journalistes. De ce séjour, elle garde une amitié solide avec un ancien résident et de bons souvenirs. Mais, malgré une situation stable et épanouie à Paris, cette femme forte et révoltée par les difficultés de son pays rêve déjà de retourner chez elle pour y apporter ses compétences.

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