Rendez-vous avec Dadis


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Dadis Camara
Dadis Camara

Il faut s’armer de patience lorsqu’on a rendez-vous avec le capitaine Moussa Dadis Camara. Depuis sa prise de pouvoir en Guinée, en décembre dernier, après le décès du président Lansana Conté, son bureau, au camp militaire Alpha Yaya Diallo, à Conakry, ne désemplit pas. Jeudi dernier, au cœur de la nuit, il recevait des membres de la presse internationale. Au menu des discussions, la tuerie du stade du 28 septembre.

Au crépuscule, sur le parking du vaste camp militaire Alpha Yaya Diallo, une vache s’apprête à s’endormir. Devant elle, une rangée de 4X4 et de berlines stationnés derrière un long alignement de motocyclettes. A la nuit tombée, le capitaine Moussa Dadis Camara reçoit. A l’entrée de son quartier général, gardé par pléthore de soldats en armes, un écriteau blanc sur lequel figurent la Bible, le Coran, et cette brève inscription : « La vérité ne tombera jamais. »

A l’intérieur, nous sommes introduits dans une salle d’attente où patientent déjà une trentaine de personnes, parmi lesquelles des ministres de son gouvernement. Il ne reste plus une seule place assise, alors nous sommes conduits dans une autre pièce au milieu de laquelle trône un grand téléviseur à écran plat. Quelques civils et une dizaine de jeunes militaires en treillis, rangers, et bérets rouges se détendent, assis sur la moquette neuve et de confortables fauteuils noirs, une main posée sur leurs fusils d’assaut. Ici commence l’attente. Plusieurs heures au cours desquelles la pièce se remplit de nouveaux invités. Sur le petit écran, la chaîne nationale RTG1, puis France 24 où la Guinée fait la Une. Reviennent en boucle des extraits d’interviews du président Camara et de l’ancien secrétaire général des Nations Unies, Koffi Anan qui, sous le regard impassible des soldats, condamne la tuerie du 28 septembre et appelle la communauté internationale à barrer la route de la présidentielle 2010 au chef de la junte.

Dans l’antre de Dadis

Vers onze heures, nous apprenons que notre hôte est enfin disposé à nous recevoir. Après avoir traversé, un peu somnolents, les deux salles d’attente encore pleines, nous nous retrouvons dans son étroit bureau au fond duquel est accroché un drapeau de la Guinée et où trônent plusieurs portraits et photos de lui, seul ou en compagnie d’amis et membres de sa famille. « C’est un petit bureau. C’est le bureau du président ! C’est pour ça que les autres sont jaloux de moi. C’est pour ça aussi que le peuple m’aime », lance-t-il à la douzaine de journalistes de la presse internationale et panafricaine[[Reuters, AFP, Al-Jazeera, New York Times, 3A Telesud, Afrique-Asie, Matalana…]] qui se pressent autour de lui, armés de leurs magnétophones, appareils photos, caméras et bloc-notes.

Le capitaine Dadis Camara se dit fatigué, très fatigué, et propose de reporter la rencontre au lendemain. Mais déjà, les premières questions fusent. Qui a organisé le massacre du stade du 28 septembre ? Quelles sont ses responsabilités dans la mort des manifestants qui s’étaient rassemblés pour s’opposer à sa candidature à l’élection présidentielle ? Un officier tente de couper court à l’échange, mais le président lui ordonne de se taire. Il répondra aux questions des journalistes, un exercice auquel il semble prendre un certain plaisir.

D’emblée, il retourne la responsabilité de la tuerie contre les leaders politiques qui ont organisé le rassemblement en dépit de l’interdiction qu’il avait promulguée et affirme qu’avant d’arriver au stade, des manifestants « ont cassé des commissariats de police. Ils ont pris des armes de guerre, ils ont brûlé des voitures ». « Ce sont les leaders qui ont dit aux enfants d’aller prendre des armes », ajoute-t-il, estimant que leur objectif réel était de le déstabiliser. « C’était un complot contre moi. Ca a échoué. Ils croyaient qu’en sortant, les militaires allaient se retourner contre la population et qu’après je serais renversé. C’était prémédité. Tout ça, c’est de la jalousie ! », assène-t-il, péremptoire. Dadis Camara fustige en particulier l’un des chefs de l’opposition, Alpha Condé, le président du RPG (Rassemblement du peuple de Guinée), « un vieillard » qui, selon lui, ne supporte pas qu’un homme âgé de 44 ans seulement ait pu lui subtiliser un pouvoir qu’il convoite depuis 25 ans. « C’est un problème transgénérationnel ! », s’exclame le capitaine.

Une armée désorganisée

Un chef d’Etat peut-il s’affranchir de toute responsabilité lorsque son armée tire sur la foule ? Ne contrôle-t-il pas ses hommes ? Avant de répondre aux questions, son regard se promène sur son bureau où il a placé, ça et là, un globe terrestre, une statuette de la Vierge Marie, un chapelet, une Bible, un Coran… Puis il reprend la parole. « Je suis chef de l’Etat. J’assume cette responsabilité. (…) C’est une responsabilité morale et symbolique, rétorque-t-il. C’est comme si tu es père de famille et que tu as un enfant qui vole. Quand il vole, tu ne diras pas que c’est ton enfant ? Tu diras que c’est ton enfant ! » Il reconnaît que ses troupes ont tiré sur les manifestants, puis raconte que, présageant que les choses tourneraient mal, il avait voulu se rendre au stade pour calmer les esprits et empêcher la tuerie. Mais, surprenante confession, ses hommes, qui ne respecteraient pas l’autorité de leurs supérieurs, l’auraient obligé à rester au camp. « Je voulais aller, j’ai été empêché. On a enlevé la clef de ma voiture. Mes propres soldats. Ils m’on dit : »Ah président, il faut rentrer au bureau. Laisse comme ça. » »

Selon le capitaine Dadis Camara, l’armée guinéenne, qui compterait quelque 50 000 éléments, serait quasiment incontrôlable. « Depuis 50 ans, l’armée n’a pas été réformée. C’est une armée où un soldat ne connaît pas son unité organique, c’est une armée où un caporal peut dire merde à son colonel », assure-t-il. « J’ai hérité d’une armée de 50 ans où l’ordre n’est pas respecté, où les hommes ne sont pas casernés, où un soldat avec son fusil va passer la nuit dehors avec des civils. », poursuit-il. « Depuis 50 ans, c’est comme ça. Est-ce que c’est en 8 mois qu’on va tout changer ? » Après cet aveu de faiblesse, le capitaine Dadis Camara précise néanmoins que sa présence à la tête de la Grande muette et de l’Etat demeure le meilleur remède contre l’anarchie. « Après moi, personne ne pourra gérer cette armée, déclare-t-il. Si on me fait partir, ils vont prendre les armes et ils tireront entre eux. Les civils ne peuvent contrôler cette armée. » Un constat que, dit-il, les chefs de l’opposition partagent avec lui : « Ces leaders connaissent l’armée. Ils sont venus me dire qu’ils ne peuvent pas la contrôler. »

Pouvoir et sacerdoce

De nombreux témoins des événements du 28 septembre ont affirmé avoir vu des membres de sa garde rapprochée sur les lieux. Peut-il garantir que les coupables du massacre seront punis ? « C’est pour ça que j’ai demandé une enquête internationale », répond-il, sans s’appesantir plus longtemps sur cette question. La communauté internationale a évoqué des sanctions contre la Guinée. Les craint-ils ? « Ca ne m’inquiète nullement pas. Absolument pas, rétorque-t-il. (…) Ce qui est important, c’est que l’Afrique se mette au travail. » Certains chefs d’Etat, dit-il, lui apportent leur soutien. Et de citer Mouammar Kadhafi, Hugo Chavez et Mohammed VI.

Le capitaine Dadis Camara affiche une fière assurance, estimant que sa cote de popularité auprès des Guinéens demeure au plus haut, parce qu’ils reconnaissent ses qualités morales et qu’il a osé s’attaquer aux problèmes chroniques de corruption, de trafic de drogue, d’électricité et d’eau courante que subissait le pays. « Ce n’est pas la sorcellerie qui fait que le peuple tient à moi. C’est mon honnêteté et ma probité, juge-t-il. L’argent ne m’intéresse pas. C’est ce qui fait que l’armée a confiance en moi. » Goûtant particulièrement les métaphores christiques, il compare son action à un sacerdoce. « J’ai sacrifié ma vie à la nouvelle génération », aime-t-il à répéter. Un sacerdoce qu’il aimerait voir se prolonger au-delà de l’année 2010…

Dehors, sur le parking, les journalistes échangent quelques brèves impressions. Certains disent être restés sur leur faim quant aux responsabilités de la tuerie du 28 septembre. D’autres comparent le capitaine Dadis Camara à l’ancien leader burkinabè, Thomas Sankara, charismatique et idéaliste… A l’extérieur du camp Alpha Yaya, sur le chemin du retour, des marchandes assises derrière leurs étals espèrent la venue de quelque client insomniaque. La vie tente, doucement, de reprendre ses droits à Conakry.

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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