Troubles au Gabon : la vérité peut-elle encore attendre ?


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Les événements inquiétants qui adviennent ces jours-ci au Gabon, suite à l’élection d’Ali Bongo Ondimba à la présidence – avec en point d’orgue, pour le moment, trois morts et l’incendie du consulat de France à Port-Gentil – méritent de rappeler quelques secrets de la Ve République « blanciste »… De la sorte, on comprendra mieux, et en profondeur, ce qui se joue actuellement du côté de Libreville.

Largage gaullien de Nègres

En 1960, le général de Gaulle largua les anciennes colonies de l’Afrique dite française, au motif que les Français sont des Blancs et les Africains des « Nègres » ou des « Bougnoules ». Selon ses propres mots. Les uns et les autres étant évidemment, selon lui, incompatibles. De fait, l’octroi de l’égalité politique aurait conduit au métissage de la France, et entravé, par-dessus le marché, l’exploitation colonialiste. L’égalité politique ayant ceci de détestable qu’elle implique l’égalité sociale…

A l’époque, bien entendu, l’habile Général prétendit satisfaire le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Et tout le monde fit semblant d’y croire. Soviétiques et Américains en tête, relayés en France par les communistes et les libéraux, Sartre et Aron comme figures de proue.

Quant aux Africains, ils durent la boucler.

Les élites, parce qu’elles restaient soumises à la toute-puissance de Paris – ceux qui prétendirent s’en affranchir le payèrent de leur pouvoir ou de leur vie. Du reste, on fit en sorte qu’elles y trouvent leur compte… Le peuple, lui, fut simplement méprisé : au dernier moment, la Loi 60-525 (mai-juin 1960), au prix d’une quadruple violation de la Constitution, le priva du droit à l’autodétermination. Ainsi le largage put avoir lieu dès le mois suivant, sans que les masses africaines puissent y opposer leurs suffrages…

1958 : la départementalisation refusée

Dans ce vaste scandale, le Gabon présentait un cas extrême.

En 1958, cherchant à tirer partie des événements (relire le discours de Mostaganem de Charles de Gaulle le 6 juin 1958) s’appuyant sur l’article 76 de la Constitution, le Conseil de gouvernement du Gabon, dont le président était Léon Mba, demanda que le territoire devienne un département français. Transgressant la Constitution, de Gaulle refusa vertement. Ainsi, deux ans plus tard, le Gabon prit « sagement le chemin de l’indépendance », selon l’expression du Général.

Dès cette époque, pourtant, l’avenir pétrolier du Gabon s’annonçait grassouillet. Mais l’Etat français savait que l’indépendance – fictive – n’entraverait nullement l’exploitation du pétrole gabonais (entre autres ressources). Il savait aussi que la départementalisation donnerait le mauvais exemple. D’autres territoires africains auraient pu, dès lors, s’engouffrer dans la brèche et réclamer le même statut. Il imposa donc la sécession à Libreville…

Le règne de l’agent Bongo

Par la suite, le pétrole gabonais tint ses promesses. En 1967, succédant à Léon Mba, l’agent secret français Albert-Bernard Bongo devint donc président de la République. Ainsi s’ouvrit un règne de 41 ans durant lequel Bongo, devenu Omar pour simplifier les choses à l’OPEP – organisation à laquelle le Gabon avait adhéré –, servit à la perfection les intérêts de l’Etat français. Notamment au plan pétrolier, conformément à sa mission initiale. En coulisse, le Gabon reçut le surnom de « colonie Elf ».

Dans le même temps, Bongo maqua le pays en arrosant une clientèle pléthorique à sa dévotion. Il neutralisa l’opposition politique selon la même méthode. En contrepartie, le peuple fut de plus en plus laissé pour compte, comme les infrastructures. A Paris, nul ne songea à lui en faire grief, puisque Omar arrosait aussi à l’extérieur, en particulier les partis politiques français…

Le cas Verschave

Au milieu des années 1990, en France, surgit un chevalier blanc : François-Xavier Verschave, qui disséqua dans plusieurs ouvrages retentissants les réseaux africains de l’Etat français (Foccart-Pasqua-Mitterrand), dont le Gabon était l’un des suprêmes sanctuaires.

Dans ses livres, étrangement, l’érudit Verschave ne mentionna jamais le versant politiquement incorrect de l’Histoire du Gabon. Jamais le chevalier blanc ne rappela que le Gabon avait souhaité devenir département français en 1958, et s’était vu envoyer paître… C’est que, sous ses apparences d’iconoclaste et de boutefeu, M. Verschave sacrifiait à une doxa qui, d’une façon ou d’une autre, glorifiait en France et dans le reste du monde le divorce franco-africain…

Toujours est-il que ses travaux, remarquablement documentés et pertinents dans leur critique du néocolonialisme, firent florès, et frappèrent bien des esprits en Afrique subsaharienne, y compris au Gabon.

Le pays coupé en deux

Tout cela permet de comprendre deux choses de l’actuelle situation gabonaise.

D’une part, que le Gabon est aujourd’hui coupé en deux, entre partisans de Bongo et ennemis de Bongo. Hier Omar, aujourd’hui Ali, son fils, proclamé président le 3 septembre 2009.

D’autre part, que les Gabonais, objets comme les Français d’un lavage de cerveau orchestré tant par la Ve République gaullienne que par la gauche stalino-trotsko-verschavienne, sont voués à s’opposer à la France dans tous les cas de figure.

Si l’Etat français soutient Bongo, les Gabonais anti-Bongo dénonceront violemment la France néocolonialiste. En revanche, si l’Etat français soutient les ennemis de Bongo, les Gabonais pro-Bongo hurleront contre la France… néocolonialiste ! C’est tellement commode…

Gabon, France, Europe

Dans ce superbe piège, Sarkozy et le pauvre Kouchner, tous deux prisonniers des mensonges fondateurs de la Ve République blanciste, sont condamnés à affecter une subtile neutralité, c’est-à-dire à caresser tout le monde dans le sens du poil. En espérant que ça n’explose pas.

Et si ça explose, que faire ? , dira-t-on.

Que la France se taise enfin ! , triompheront certains…

Et si tout simplement, dès maintenant, sans attendre le pire, Paris commençait par dire la vérité sur l’Histoire franco-africaine ? Et qu’à partir de là, adossée à l’Europe, la France, libérée des turpitudes gaullo-sartriennes, se décide à parler cartes sur table et, surtout, les yeux dans les yeux, avec le Gabon et ses populations meurtries.

Quitte à en tirer toutes les fraternelles conséquences…

Alexandre Gerbi est écrivain, auteur de l’Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine (L’Harmattan, 2006). Il est également membre cofondateur du Club Novation Franco-Africaine. Il anime le blog Fusionnisme
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