Omar Ba : « Je veux casser les stéréotypes sur l’eldorado européen »


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Omar Ba
Omar Ba

Voyage en pirogue, noyades de ses compagnons, clandestinité. Omar Ba a connu tout cela. Parti de son Sénégal natal des images plein la tête, il découvre une autre Europe, loin de ses clichés. Dans son livre, Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus, l’étudiant en sociologie évoque un eldorado européen qui n’existe pas. Une façon pour lui d’exhorter les Africains à ne plus se voiler la face. Interview.

Omar Ba, sénégalais de 29 ans, a tutoyé la mort alors qu’il tentait de gagner l’Europe en pirogue. Il a connu, en France, mille et une « galères » alors qu’il s’attendait à découvrir l’Eldorado. Il a néanmoins décroché un DEA en sociologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris. Et il travaille pour l’ONG Aide et Action. Cependant, son objectif reste le retour au pays où il veut travailler et contribuer à améliorer la situation.

Afrik.com: Rentrer au pays ou ne plus en partir… Vous martelez ce message dans votre livre. Ne pensez-vous pas avoir une vision trop manichéenne de la situation ?

Omar Ba : (sourire) J’ai fait dans la provocation pour titiller les immigrés à qui je m’adresse. Mais ce que je dis est vrai, s’ils sont malheureux en Europe, pourquoi ne pas envisager le retour ? Dans leurs pays, ces questions migratoires restent tabous car il y a beaucoup de morts. Seulement, on ne peut solutionner un problème qu’on ne pose pas. Je ne veux pas donner des leçons. J’ai écrit ce livre pour avertir les candidats au départ de ce qu’ils risquaient de trouver au cours de leur voyage et à leur arrivée… pour ceux qui y parviennent. Les jeunes sont obsédés par l’extérieur, qu’ils n’ont ni le temps ni l’envie de voir les possibilités qui existent dans leurs pays. Je ne leur jette pas la pierre, j’étais comme eux. Par exemple, ils considérent l’agriculture comme une activité avilissante alors qu’en Afrique le secteur est fortement demandeur en mains d’oeuvre. Je l’ai aussi fait pour les frileux qui imaginent leur retour comme une possibilité irréalisable. Je ne dis pas à ceux qui sont ici de rentrer à tout prix s’ils s’y sentent bien, mais il ne faut pas non qu’ils s’interdisent de rentrer s’ils n’y trouvent pas leur compte. Ils ont encore le choix. L’Europe s’est saisie de ses questions il y a plusieurs années tandis que l’Afrique se refuse encore à le faire.

Afrik.com: D’accord mais le problème est avant tout politique. Et la fuite des cerveaux arrange certains gouvernements d’Afrique peu à même d’assumer les besoins de leurs populations.

Omar Ba : Evidemment. Et de ce point de vue-là, l’éducation est une catastrophe. Il faudrait mettre davantage l’Afrique au cœur des programmes scolaires. C’est, bien sur, le rôle des chefs d’états mais ils peinent à l’incarner. L’école de la colonisation basée sur les savoirs et richesses de l’extérieur a toujours cours au Sénégal, par exemple, si bien qu’arrivée au Bac, les élèves connaissent mieux l’Europe que l’Afrique. C’était mon cas. Ces cours leur dit que l’excellence n’appartient pas à leur continent. Au-delà de l’aide extérieure qui est la bienvenue, c’est aussi aux Africains de croire en l’Afrique.

Afrik.com: Justement, comment votre livre a t-il été accueilli par les immigrés de France à qui vous adressez l’essentiel de votre message?
Omar Ba :
Dans la communauté où j’évolue, beaucoup m’ont soutenu avant de se rétracter à la lecture du bouquin. Pour eux, c’est aussi une question d’honneur : ils n’ont pas accepté de voir leurs difficultés étalées sur la place publique comme, par exemple, le fait qu’ils ne prennent parfois qu’un repas par jour ou vivent dans des logements insalubres. Ces problèmes, c’est bien d’en parler entre nous mais pas question que cela sorte de nos murs. C’est une réalité bien connue des immigrés, mais pas forcément des Africains restés au pays, c’est pourquoi j’en ai parlé.

Afrik.com: Au risque de les contrarier?

Omar Ba : J’ai voulu casser certains stéréotypes. Même s’il y en a beaucoup qui s’en sortent, c’est souvent après des années d’une adaptation pénible. Or, il faut savoir dire « non » aux nombreuses sollicitations de la famille quand on n’a pas les moyens de les satisfaire. Je ne voulais pas non plus que ces immigrés continuent à se donner bonne conscience. Malgré l’argent envoyé, aucune impulsion économique ne se fait. Ces sommes servent plutôt, en grande majorité, à acquérir des biens privés comme un frigo ou une télé, et pas à créer des entreprises ou développer des projets. Il y a beaucoup de choses qui se dit sur l’immigration, seulement, on écoute toujours parler les spécialistes sur ces sujets alors qu’ils sont parfois bien loin des réalités.

Afrik.com: Vous dénoncez le comportement tapageur de certains immigrés qui rentrent en Afrique pour des vacances et également la couverture catastrophiste des médias concernant l’Afrique. Selon vous, les images renvoyées de l’Europe et de l’Afrique par ces vecteurs ne correspondent pas à leurs réalités?

Omar Ba : Elles collent en fait très peu à la vie de ces personnes. Si on prend l’exemple des immigrés, ils sont vu comme ayant réussi parce qu’ils peuvent rentrer pour quelques jours de vacances. Seulement, il faut savoir que c’est souvent leur seul bol d’air de l’année. Ils bossent parfois très dur, accumulant pour certains deux ou trois boulots, avec des horaires pénibles. Ils n’ont le temps de s’occuper d’eux que lorsqu’ils retournent au pays. La plupart n’évoquent pas leurs problèmes. Pour beaucoup de familles, l’Europe est vu comme un paradis d’où l’on revient chargé de cadeaux. C’est faux. Les médias entretiennent aussi le mythe. Dans ses conditions, aller expliquer à un jeune qu’il ne faut pas y aller… Moi-même qui est véçu là-bas, les images de guerres et de famines finissaient par m’effrayer. Certes, les médias relatent une certaine réalité seulement je leur reproche de ne parler de l’Afrique que lorsque cela va mal, un peu comme pour les banlieues en France.

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Commander : Je suis venu, j’ai vu, je n’y crois plus, Omar Ba, Max Milo éditions, 246 p

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