Mauritanie-Sénégal : espoir et inquiétude pour les réfugiés mauritaniens


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Avec ses cases recouvertes de chaume, ses femmes qui cuisinent autour d’un feu de bois, ses enfants qui jouent et ses hommes qui boivent du thé sucré, assis à l’ombre des arbres, ce village ressemble à un village typique du nord du Sénégal. Pourtant, parmi les Mauritaniens qui vivent ici, rares sont ceux qui s’y sentent chez eux. Il s’agit en fait d’un camp de réfugiés, et au mieux, d’une réalité artificielle – de la volonté déterminée d’un peuple, chassé de chez lui il y a près de 20 ans, de reconstruire sa vie en terre inconnue.

Bien qu’ils ne soient pas attachés au Sénégal, les réfugiés ne considèrent pas la Mauritanie comme leur patrie non plus. « Nous sommes des étrangers aussi bien ici que dans notre propre pays », a résumé l’un d’eux.

En 1989, les Maures de Mauritanie ont chassé pas moins de 70 000 Noirs mauritaniens de leur pays. Aujourd’hui, le gouvernement mauritanien nouvellement élu, dirigé par Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, affirme qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour aider les 20 000 réfugiés restants à rentrer chez eux.

En juillet, M. Abdallahi a envoyé une délégation de haut niveau rencontrer les représentants des Mauritaniens encore éparpillés dans plus de 200 camps de réfugiés de la vallée du fleuve Sénégal, qui jouxte la Mauritanie.

« Ces souffrances que vous avez endurées pendant ces longues années doivent prendre fin », a déclaré Yahya Ould Ahmed El Waghef, chef de la délégation et ministre secrétaire général de la Présidence de la République de Mauritanie, à l’attention des réfugiés, selon l’AFP. « [Le rapatriement] permettra à chacun d’entre vous de retrouver ses droits de citoyen mauritanien, de recouvrer ses biens en Mauritanie et de vivre dignement dans son pays ».

A en croire les réfugiés, ce serait plus facile à dire qu’à faire. « J’ai été privé de mon identité et suis usé en tant qu’être humain », a confié à IRIN Babacar Mbodj, un réfugié. « Je ne suis ni sénégalais, ni mauritanien ».
« Je ne m’étais jamais vraiment rendu compte de son importance jusqu’à ce que je perde ce droit », a déclaré M. Mbodj au sujet de la nationalité, un droit qui devrait échoir à chaque être humain. M. Mbodj a reconnu qu’il était encore théoriquement mauritanien, mais comme la plupart des membres de sa communauté, il se sent apatride.

« Ce petit document, dans votre poche, qui indique votre nationalité, a une grande influence sur l’idée que vous vous faites de vous-même en tant que personne ».

Il est facile de ne pas remarquer ce type de souffrances subtil sur un continent où les privations sont monnaie courante. Dans la réalité, le niveau de vie des réfugiés est à peine moins bon que celui du villageois sénégalais moyen. En fait, cette population est essentiellement aux prises avec des souffrances psychologiques – un passé anéanti, et un avenir qu’elle a du mal à imaginer.

« Apatride ? »
Même leur qualification d’apatrides n’est pas claire. La Convention de 1954 relative au statut des apatrides définit l’apatridie comme l’absence de lien juridique de nationalité avec tout pays.

Il y a dix-huit ans, les responsables du gouvernement mauritanien auraient récupéré et détruit les pièces d’identité des Noirs mauritaniens avant de les abandonner en masse à la frontière sénégalaise. La plupart ont quitté le pays en laissant tous leurs biens derrière eux ; certains sont même partis sans chaussures.

Aux yeux du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), la définition du mot apatride ne s’applique pas à ces personnes. « Pour le HCR, la nationalité des réfugiés mauritaniens n’est pas remise en question », a révélé à IRIN Mahoua Bamba Parums, conseiller juridique régional du HCR.

« Ils ont tous été reconnus à première vue comme des réfugiés par le gouvernement sénégalais en 1989. Il est donc faux de dire qu’ils sont apatrides », a-t-il dit.

L’organisation non-gouvernementale Refugees International les a plusieurs fois qualifiés d’apatrides. « En gros, la définition de l’apatridie [implique] qu’aucun gouvernement ne protège réellement ces personnes », a expliqué Maureen Lynch, Directrice exécutive de Refugees International.

« Ces réfugiés vivent dans des conditions semblables à l’apatridie », a-t-elle ajouté, tout en veillant à ne pas contredire le HCR. « En tant qu’organisation humanitaire, nous nous en remettons à la définition du HCR ».

Des réfugiés livrés à eux-mêmes

Le HCR a cessé d’apporter son aide aux réfugiés en 1998, lorsque les fonds sont venus à manquer. « Avec une crise de longue durée comme celle-ci, il est difficile de maintenir l’attention des bailleurs », a expliqué M. Parums à IRIN.

« C’est bien beau de nous appeler réfugiés, mais les réfugiés reçoivent de l’aide », a déclaré Mariame Sira Coumba, réfugiée et mère de trois enfants, qui vit dans un camp.

Sans la garantie d’une aide, rares sont ceux qui ont pris la peine de faire renouveler leur carte de réfugié ; cette procédure annuelle, qui doit être effectuée à Dakar, les oblige en effet à parcourir les 500 kilomètres qui les séparent de la capitale sénégalaise, un voyage très onéreux pour ces réfugiés.

« A quoi nous servent ces cartes de réfugié ? », a demandé M. Mbodj. « Ces cartes impliquent qu’on s’occupe de vous parce que vous n’avez pas d’autre moyen. Mais personne ne s’occupe de nous. Pendant toutes ces années, nous n’avons eu ni protection, ni droits, sous quelque gouvernement que ce soit ».

Même avec leurs cartes de réfugié, les Mauritaniens se voient refuser des emplois dans le secteur officiel et ne peuvent bénéficier des services sociaux fournis aux citoyens sénégalais, a-t-il dit.

« Nos vies ne sont pas en danger immédiat, comme c’est le cas de bien d’autres réfugiés, nous le savons. Toutefois, le fait d’avoir été abandonnés ici depuis si longtemps d’abord par notre gouvernement, puis par le HCR n’a fait qu’aggraver notre sentiment de désespoir. Nous avons passé des années à attendre en vain que la situation évolue », a expliqué Ly Ousmane Mombo, un réfugié qui vit à Ndioum. « Ce n’est pas une vie ».

Etude de cas : une famille dans le flou

Babacar Mbodj était garde forestier en Mauritanie avant d’être expulsé, il y a 18 ans. Depuis, il vit dans le camp de réfugiés de Dagana en compagnie de son épouse, de son enfant unique et de sa sœur, et vend des légumes qu’il fait pousser dans un petit potager situé près de sa maison.

« Nous nous débattons pour créer un semblant de vie, ici », a-t-il expliqué.

Quant à Fatou, l’épouse de M. Mbodj, elle a raconté à IRIN la douleur qu’elle ressentait en voyant que les villages sénégalais des alentours recevaient de l’aide de la part du gouvernement, et le mal qu’elle avait eu à expliquer à Abdou, son fils de 13 ans, de quel pays il était ressortissant.

« La semaine dernière, il m’a dit qu’il ne savait pas trop s’il voulait être mauritanien », a-t-elle rapporté.

Cela fait six ans qu’Abdou va à l’école par intermittence dans le camp, mais les écoles pour enfants réfugiés manquent de l’essentiel.

« L’éducation est un droit ; elle permet aux enfants d’acquérir l’assurance et les compétences dont ils ont besoin pour survivre. Le potentiel de cette génération d’enfants mauritaniens a été gaspillé dans ces camps », a déploré Fatou.
Abdou a expliqué à IRIN qu’il se considérait comme mauritanien mais qu’il savait qu’il n’était pas comme les enfants sénégalais avec lesquels il joue. « Je me sens différent d’eux, mais je ne sais pas trop si j’ai ma place en Mauritanie. Je suis ici depuis toujours ».

M. Mbodj a dit craindre qu’Abdou ne se sente aussi différent des enfants mauritaniens si, à terme, la famille est rapatriée.

« Bien que les enfants de ces camps s’entendent dire qu’ils sont mauritaniens, ils n’ont jamais vu leur pays. A propos de la Mauritanie, ils entendent surtout parler de violence et de racisme », a-t-il dit.

Frustration

Les représentants des réfugiés ont déclaré que l’annonce du gouvernement mauritanien était une victoire pour leur communauté ; ils ont demandé que le rapatriement soit dirigé par le HCR pour assurer la sécurité des réfugiés et continuer à garantir leur bien-être, une fois de retour en Mauritanie.

Si, de manière générale, les réfugiés ont bien accueilli cette décision, leur frustration envers le gouvernement mauritanien est palpable lorsqu’ils font le récit de leur vie.

« Sommes-nous censés célébrer cette décision après 18 ans de cette vie étrange ? La Mauritanie a mis trop longtemps à accepter de nous rendre nos droits », a expliqué M. Mbodj.

M. Mbodj a confié à IRIN qu’il possédait une maison ainsi que d’autres biens en Mauritanie, qui ont été réquisitionnés par les Maures de Mauritanie presque immédiatement après l’expulsion massive de Noirs mauritaniens. La plupart des réfugiés ne savent pas vraiment ce qu’il est advenu de leurs biens ni de leur emploi en Mauritanie, particulièrement dans le secteur informel.

« Nous avons été contraints de quitter le pays sans rien. C’est caractéristique du réfugié, mais aujourd’hui, cela fait 18 ans que nous vivons sans avoir rien gardé des vies que nous avions bâties en Mauritanie, à la sueur de nos fronts. J’étais fier de ma maison et de ce que je pouvais offrir à ma famille, et tout ça s’est envolé en un instant », a-t-il déploré.

« Nos vies ont été violées – les Arabes de Mauritanie ont emménagé dans nos maisons et nous ont pris nos emplois. Je me sens impuissant en pensant à tout ce qui m’a été retiré ».

Tous les réfugiés interrogés ont souligné la nécessité de mettre en place une commission Vérité et réconciliation, pour identifier les victimes et les auteurs de violences du conflit frontalier avec le Sénégal.

« Il faut que les [responsables] répondent de ces 18 années d’apatridie. Les événements de 1989 n’ont pas provoqué de génocide, comme ce fut le cas au Rwanda, mais ils ont tout de même aliéné toute une génération de Noirs mauritaniens. Peut-être que notre témoignage évitera à nos petits-enfants de connaître le même sort vain », a déclaré M. Mbodj.

M. Mbodj, à qui l’on avait demandé s’il craignait de retourner dans son pays, a secoué la tête. « Même si la vie sera dure en Mauritanie, c’est quand même notre patrie ».

Vingt ans d’un statut flou et d’un vague sentiment d’appartenance à une nation ont étrangement façonné cette communauté. Mais dans ces camps, une chose met tout le monde d’accord : avoir la vie dure en Mauritanie vaut toujours mieux que vivre dans l’incertitude de ces deux dernières décennies.

« Retourner au pays nous permet de nous axer sur quelque chose – un pays, une dignité et enfin, après tant d’années, une identité », a sobrement résumé M. Mbodj.

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