Algérie : le danger de l’interdiction des importations


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Drapeau de l'Algérie
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Dans son article, Lahouari Bouhassoune, s’inquiète de la politique protectionniste du gouvernement algérien et fait ressortir que le pays n’a pas la capacité de produire suffisamment d’agrumes pour sa propre consommation ce qui a entrainé une hausse importante des prix. C’est le consommateur qui paie la facture finale de ces politiques. C’est d’autant plus regrettable que des mesures similaires avaient été prises pour l’importation d’autres produits alimentaires et qu’on avait déjà constaté l’augmentation des prix et de la contrebande. Il serait plus efficace d’agir sur les causes structurelles du manque de produits agricoles locaux, notamment en s’attaquant à la problématique du foncier rural.

Le 23 janvier 2017, le gouvernement algérien a interdit l’importation des agrumes et des légumes frais pendant leur saison. Les banques ont été exhortées à suspendre immédiatement les domiciliations bancaires des opérations d’importation de ces produits agricoles quelle qu’en soit l’origine. Leur souhait étant de réduire la facture d’importation et de préserver la production locale. Vont-ils y arriver? Pas sûr !

Cette mesure n’est pas nouvelle. Dans le passé, des dispositions similaires ont été prises par le gouvernement sans succès. C’est une solution de facilité visant à préserver les réserves en devises qui ne cessent de s’amenuiser suite à la baisse des recettes pétrolières. Ainsi, l’Etat algérien avait prévu d’obtenir 15% de réduction de la facture globale sur l’exercice 2016, alors que celle-ci n’a baissé que de 9,62%. L’objectif est donc loin d’être atteint.

Si le gouvernement a « réussi » à restreindre l’importation officielle de plusieurs produits alimentaires, comme la pomme et la banane, cela n’a fait qu’augmenter leurs prix, notamment celui de la banane qui est passé de 180 DA à plus de 600 DA/le kg, soit l’équivalent de 5 euros. L’importation de la poudre de lait a également été réduite de moitié. Toutefois, cette forte pression, a poussé les commerçants à tricher sur le dosage, remettant en cause sa valeur nutritive. Pis encore, en dépit de sa qualité moindre, le prix du lait a augmenté de plus de 20%. La pomme de terre a également été touchée par la même mesure et depuis, ne cesse d’augmenter. Elle est passée de 35 DA en septembre 2016 à plus de 75 DA, en février 2017 (du simple au double) et la tendance ne risque pas de s’inverser.

En fait, cette interdiction, censée préserver les devises de l’Algérie et favoriser la consommation de légumes et fruits locaux n’a fait que renforcer la pénurie et nourrir la hausse des prix. Elle a en plus encouragé la spéculation du fait de l’insuffisance de l’offre sur le marché. Avec un salaire moyen de 18.000 DA (144 Euros), le pouvoir d’achat du citoyen algérien risque de subir de plein fouet la flambée des prix des produits dont la qualité laisse à désirer.

En dépit des conséquences de ces mesures, les autorités algériennes interdisent désormais l’importation des agrumes durant la saison. L’argument retenu : la hausse de la production nationale par rapport aux saisons écoulées qui a atteint en 2016 près de 13 millions de tonnes. Cette « importante » production d’agrumes, tant vantée par les dirigeants, ne suffira pas pour couvrir les besoins du marché national. Il devient alors aberrant de dresser des barrières à l’entrée d’un marché sous-approvisionné (lait et blé pour ne citer que ces deux produits indispensables).

Il n’est donc pas étonnant que de telles mesures aient encouragé la contrebande et le cas de la banane en est un exemple incontestable. Les services sécuritaires d’Oum El-Bouaghi (465 km à l’Est d’Alger), ont saisi le 4 février 2017, un camion chargé de plus de 15 tonnes de bananes en provenance de la Tunisie. Qu’en est-il des produits et de leur quantité qui ont réussi à échapper aux filets ?

L’interdiction d’importation ne fait que donner l’illusion de protéger les producteurs locaux, car d’une part, ces derniers seront concurrencés par les contrebandiers, et d’autre part, en garantissant un certain confort aux agriculteurs locaux, ils les empêchent de développer leurs propres armes pour se mesurer à la concurrence étrangère. En effet, un tel protectionnisme tue l’incitation des producteurs locaux à se remettre en cause et à faire les efforts nécessaires pour offrir des produits moins chers et de meilleure qualité.

Les responsables algériens devraient se rendre à l’évidence que ce n’est pas tant les fruits et légumes importés qui entravent le développement de la production locale mais plutôt l’environnement d’investissement défavorable dans lequel évoluent les producteurs locaux.

D’abord, la double problématique du foncier. D’une part, le déclassement intempestif des terres arables au profit des projets de développement urbain, qui fait perdre au pays d’importantes superficies. Et d’autre part, la difficulté de définir et faire respecter les droits de propriété. A côté de la multiplication des statuts fonciers, la désuétude des lois, et la corruption de la justice, il est difficile de mobiliser le capital foncier qui est au pire immobilisé au mieux morcelé. A cela s’ajoute les dysfonctionnements de l’administration foncière qui freine la régularisation des terres, ce qui constitue une entrave aux investissements. La difficulté de mobilisation des actifs fonciers rend difficile l’accès au financement pour les agriculteurs désirant investir pour moderniser leur outil de production, d’où la stagnation de la productivité agricole à des niveaux bas.

Ensuite, notons toutes les entraves réglementaires et fiscales que rencontrent les investisseurs potentiels en agriculture. En témoigne le classement catastrophique de l’Algérie dans l’index doing business (156ème sur 190 pays) mesurant la facilité de faire des affaires. Si l’Algérie n’améliore pas son environnement des affaires, il y aura toujours déficit de l’offre, donc besoin d’importations, et elle ne sortira jamais du cercle vicieux. L’interdiction des importations ne résoudra pas le déficit de l’offre locale quantitativement ni qualitativement.

Enfin, l’inexistence de structures commerciales et de réseau de commercialisation ou encore l’absence de circuits de distribution constituent un véritable handicap pour l’épanouissement de l’économie primaire. La multiplication de revendeurs intermédiaires qui enflamment les prix au détriment des consommateurs, ruine aussi les agriculteurs. D’où la nécessité d’une mise à plat des circuits de l’ensemble des filières en vue de leur optimisation.

Seuls les échanges libres bilatéraux respectant le principe de concurrence saine, pourraient servir l’intérêt de tous, aussi bien producteurs que des consommateurs. Les responsables algériens ne devraient pas perdre de vue une vérité simple : la seule voie vers l’émancipation économique passe par la compétitivité. Or, interdire ou renchérir les importations (matières premières, produits intermédiaires, équipements, etc.) revient à condamner le pays à la dépendance éternelle car la production algérienne sera toujours plus chère. Les importations font les exportations !

Lahouari Bouhassoune, journaliste algérien.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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