Afromexicains, oubliés et discriminés…


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Une série de timbres postaux récemment émise et représentant un personnage populaire noir avec les lèvres exagérément volumineuses – issu d’une ancienne revue de bandes dessinées – a relancé une controverse au sujet des comportements raciaux au Mexique, six semaines après que le Président Vicente Fox se soit vu obligé de présenter ses excuses pour les observations qu’il avait faites et qui furent interprétés comme offensantes pour les noirs américains

Les cinq nouveaux timbres représentent un personnage de bande dessinée appelé Memín Pinguín, un gamin de ville grivois qui vit grâce à son génie et son courage, qui fut l’un des personnages de bande dessinée mexicaine les plus vendus. Créé par Yolanda Vargas Dulche en 1947, le personnage reste très connu, même si sa popularité a atteint les sommets dans les années cinquante et soixante.

johnny_laboriel.jpgUn jour après l’émission des timbres, une grande agitation s’est faite ressentir lorsque des groupes de droits civils et de personnalités afro-mexicaines, y compris le chanteur pop Johnny Laboriel, affirmèrent que les images étaient scandaleuses.

« Bien sûr que les gens vont être offensés par la caricature », a indiqué Laboriel ce mercredi. « L’idée de publier ce timbre postal est une grande stupidité.Ils le font sans penser aux conséquences ».

Gustavo Islas, directeur du service postaux du Mexique, a souligné que les timbres ont une valeur nostalgique. Nous n’avons aucune intention de les retirer de la circulation.

« Quiconque considère ce personnage comme quelque chose d’offensant regarde les choses de manière totalement trompeuses », a indiqué Islas, ajoutant que le personnage de bande dessinée est « un bon personnage sans que l’on donne une importance à la couleur de la peau ».

Le ministère des Affaires extérieures a publié une déclaration indiquant que personne ne devait se sentir offensé, « de la même façon que Speedy González n’a jamais été interprété de manière raciale par les mexicains, du fait qu’il est un personnage de bande dessinée », peut on lire dans la déclaration.

Cette trainée de poudre se produit à la suite de l’indignation provoquée par les observations de Vicente Fox au milieu du mois de mai selon lesquelles les émigrants mexicains prennent des emplois que « même les noirs ne veulent pas faire aux Etats-Unis « . Fox a passé de nombreux jours à expliquer et à finalement s’excuser pour les « sentiments qu’il a pu blesser ». Il le fit personnellement devant le révérend Jesse Jackson, qui a rendu visite à Fox dans sa résidence officielle, Los Pinos, le 18 mai.

Mercredi soir par téléphone, à Little Rock, Arkansas, Jackson a indiqué qu’il pensait que le « type zambo » du timbre était humiliant et »de plusieurs façons pire que ce qu’avait dit le président Fox le mois dernier ».

« J’ai appelé l’ambassadeur mexicain à Washington et je lui ai demandé d’appeler le président Fox et j’ai demandé qu’il présente des excuses et fasse retirer le timbre du marché’, a indiqué Jackson.

Le timbre oblige à présent le Mexique à réexaminer un problème qui reste normalement souterrain. Nombreux sont eux qui ici et ailleurs en Amérique Latine disent que leurs sociétés sont plus classicistes que racistes pour expliquer la discrimination que subissent les indigènes et les noirs. L’argent et l’histoire familiale, selon eux, sont les véritables marqueurs sociaux.

Mais de nombreux spécialistes de la société disent que les mexicains ayant la peau claire et d’origine européenne sont généralement avantagés dans la lutte pour l’emploi, l’ascension sociale, l’éducation et autres services publics.

Il n’est pas fréquent que les pages de sociétés des journaux locaux présentent des mexicains noirs, et les indiens apparaissent rarement dans les programmes de télévision.

« La société mexicaine est fondamentalement raciste et classiste », affirme Guadalipe Loaeza, chroniqueuse dans un journal local. « La couleur de ta peau est la classe qui ouvre ou ferme les portes. Plus claire est la couleur de ta peau, plus de portes s’ouvrent pour toi ».

Le racisme s’étend aux choix politiques, ajoute-t-elle.

On pense que de nombreux mexicains de classe moyenne haute voteront contre le candidat à la présidence et maire de la ville de México, Andrés Manuel López Obrador, du Parti de la Révolution Démocratique, car il est partiellement indigène et de peau basanée, indique Loaeza. Ce groupe de votants a tendance à appuyer Santiago Creel, du Parti de l’action Nationale, car il a la peau claire et les yeux bleus.

Le racisme est une des multiples formes de discrimination qui existent au Mexique, comme l’indique une enquête publiée le mois dernier par le secrétariat fédéral due développement social.

Il est indiqué que 80 pour cent des mexicains, parmi eux des femmes, des enfants, des indiens et des invalides et des personnes âgées souffrent d’une forme quelconque de discrimination.

Au Mexique, le problème du racisme s’exprime souvent contre les indigènes qui reçoivent le pire traitement de « mille façons différentes », affirme Loaeza.

La discrimination anti-noire devrait être située dans un « contexte mexicain », car l’histoire du pays est très différente de celle des Etats-Unis, indique le professeur Sagrario Cruz, de l’Université de Veracruz.

« Il n y a pas eu au Mexique une lutte pour les droits civils », indique Cruz. « Il n’existe pas une conscience d’être noir. La majorité des noirs mexicains ne se pensent même pas comme noirs’.

Cependant José Luis Gutiérrez Espíndola, du Consejo Nacional de Prevención de la Discriminación(Conseil National de la Prévention de la discrimination) affirme que de nombreux mexicains noirs se sentent marginalisés. Les noirs sont plus pauvres et reçoivent moins d’éducation et de services sociaux que tout autre groupe démographique mexicain, indique-t-il. « Ils ne se sentent pas intégrés au pays ».

Gregory Rodríguez, un écrivain de Los Angeles qui est en train de réaliser une étude pour un livre sur la manière dont le passé du Mexique peut façonner le futur des Etats-Unis affirme que le Mexique est une incongruité raciale qui a évolué pendant cinq siècles, sans trouver de solutions un grand nombre de tensions qui la touchent.

« Le Mexique n’est pas confortable quand vient le temps de traiter de son propre héritage blanc et métisse, encore moins de son héritage noir « , indique Rodríguez.

Les sentiments que l’on retrouve au Mexique par rapport à son héritage noir, selon Rodríguez, peut être perçus à travers les descriptions artistiques de ses héros nationaux, comme, José María Morelos, un des chefs lors de la Guerre d’indépendance mexicaine. Sur certaines peintures et sculptures, Morelos, qui était partiellement noir est représenté avec la peau foncé et le cheveu bouclé .Sur d’autres, il a la peau claire et semble plus européen.

La sociologue Luisa Strickland indique que les noirs mexicains -dont les ancêtres en majorité entrèrent au pays il y a des siècles par la ville portuaire de Veracruz, pour y travailler en tant que journaliers dans les plantations de sucre – sont « le peuple oublié et invisible » du Mexique.

Les états de Veracruz et de Guerrero sont toujours les centres de concentration de la population noire et mulâtresse du Mexique, estimée à un peu plus de 1 million parmi les 105 millions de personnes que compte le pays. Presque 12 millions de mexicains sont indigènes.

gaspar_yanga.jpgLes noirs de Veracruz selon Cruz dont fiers de leur origine, et particulièrement du chef des esclaves africains Gaspar Yanga, qui organisa une révolte à la fin du 16ième siècle et début du 17ième. Cette révolte se termina par l’établissement de Yanga, la première ville des noirs libres d’Amérique.

Le Mexique a aboli l’esclavage en 1829, plus de trois décennies avant les États-Unis. Mais, malgré le fait que le racisme anti-noir soit interdit par la loi mexicaine, selon Cruz, la discrimination continue d’être évidente dans la culture populaire. « Il suffit de regarder la télévision mexicaine et de voir les types de personnes qui apparaissent à l’écran. Ils sont blonds aux yeux bleus. Beaucoup de mexicains ne savent même pas que nous avons une importante population noire », indique Cruz.

Le directeur des services postaux Islas a insisté sur le fait que les timbres servaient à commémorer un personnage culturel apprécié.

« Dans le courrier, il n y a pas de races, il n y a pas de couleur, il n y a pas de position sociale », indique t-il. « Il s’agit simplement d’un excellent service qui achemine des lettres dans les endroits les plus éloignés »

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