Afrique : le fléau de la corruption entre dirigeants et multinationales


Lecture 6 min.
arton63459

Quand on parle de corruption en Afrique, on pointe à raison l’impact des multinationales venant s’installer sur le continent. Mais sont-elles les seules responsables ?

Dans son article, Mauriac Ahouangansi, dénonce les connivences entre les entreprises multinationales et les dirigeants africains. D’un côté comme de l’autre, les responsabilités sont accablantes. L’auteur appelle alors à une législation protégeant les lanceurs d’alertes et à des accords internationaux qui permettraient aux pays d’origine des multinationales concernées d’aider à démontrer et punir les faits de corruption.

Au cœur des fléaux qui minent le continent africain figure, en tête de peloton, la corruption, surtout dans l’exploitation des ressources naturelles. L’Union africaine a d’ailleurs fait de la corruption, l’un des dossiers prioritaires de son sommet de janvier 2018. Si la responsabilité des multinationales est souvent brandie, sont-elles réellement les seules fautives ?

Connivence entre dirigeants et multinationales

Les pays africains peinent à se défaire de la corruption tout simplement parce que la lutte manque de vraie volonté politique. En effet, les avancées de la lutte contre la corruption restent mitigées. Pour preuve le rapport 2018 de Transparency International, selon lequel la majorité des pays fermant la marche dans ledit classement sont africains. Pourquoi ? Ceci s’explique par l’inaction sinon la complicité des dirigeants dans la surexploitation des ressources naturelles par les multinationales étrangères. Pour les dirigeants, c’est souvent un moyen de s’assurer à eux, leur entourage et à leur progéniture un train de vie élevé au détriment du bien-être des populations. En 1998, après la mort de l’ancien président nigérian Sani Abacha, les accords entre le Nigeria et la Suisse, ont permis le rapatriement de 533 Millions USD et cela rien que pour la Suisse ! Il s’agit de fonds issus du pétrole, détournés en complicité avec des multinationales exploitantes. Mieux, dealer avec les multinationales s’avère l’un des moyens les plus simples pour corrompre les différents maillons de la chaîne électorale et de s’assurer une réélection facile et répétitive. Selon Global Witness, en Guinée, Sable Mining aurait financé la campagne présidentielle 2010 d’Alpha Condé par des pots-de-vin versés via son fils.

Quant aux multinationales, corrompre les dirigeants les dispense d’une concurrence et d’un effort supplémentaire pour accéder aux marchés et aux ressources naturelles. Elles trouvent également de l’intérêt à ce que ces mêmes dirigeants se maintiennent au pouvoir pour la pérennisation de leurs deals. D’où leur implication souvent active dans la réélection de ces dirigeants. L’affaire « Bolloré » qui défraie actuellement la chronique met en lumière un mécanisme dans lequel les chefs d’Etats guinéen et togolais auraient bénéficié de services sous facturés d’une filiale du groupe Bolloré dans leurs différentes campagnes présidentielles. Cela en échange de marchés très juteux dans les ports. L’alliance s’avère gagnant-gagnant. Mais que faire pour endiguer ce fléau ?

Protéger les lanceurs d’alerte

Les «paradise papers» ou les «panama papers» ont permis de démasquer des cas de corruption et de manœuvres suspectes, grâce à l’accès à des données sensibles. Il serait donc salutaire d’instaurer une protection juridique des lanceurs d’alertes pour encourager la société civile et les activistes à assurer une veille salutaire au bien commun. Au Niger, par exemple, c’est la pression de la société civile qui a amené le gouvernement en 2014 à revoir son indécent favoritisme fiscal au profit du Groupe français Areva. Notons qu’en RDC, les rapports du Groupe d’Etude sur le Congo, et l’ONG Global Witness, accablant Joseph Kabila et son entourage pour des cas de corruption et de détournement des rentes minières n’ont pas encore permis de l’inquiéter bien que des dizaines de milliards de dollars soient en jeu.

Plus de transparence dans la passation des marché

En outre, il faudrait réviser les codes de passation des marchés dans plusieurs pays et mettre en place des procédures claires et transparentes autour des concessions minières. Par exemple, les contrats miniers du groupe Sable Mining au Libéria et en Guinée ont été remis en question par l’ONG Global Wittness avec les preuves des manigances. Malheureusement, les techniques de corruption se complexifient et appellent à des dispositifs de contrôle de plus en plus sophistiqués. Pour le suivi, il est urgent de créer des institutions autonomes, incluant des membres de la société civile outillés pour assurer une veille dans les administrations. De même, les contrats en cours de négociation devraient être impérativement soumis au parlement pour contrôle. Il faudrait en plus une justice indépendante et des cours de comptes investies en la matière. En ce sens, des accords entre les gouvernements devraient permettre d’une part, la levée rapide de l’immunité des personnalités politiques, et d’autre part une procédure judiciaire en harmonie avec les législations des pays d’origine des multinationales sur leur territoire.

Une franche collaboration des pays d’origine

Les réformes sur la transparence et l’état de droit sont certes nécessaires et urgentes mais difficilement réalisables à court terme au vu des nombreux obstacles restant à surmonter. Une situation qui appelle à l’implication des pays de provenance des multinationales où l’état de droit est plus fort. C’est dans cette logique que la Convention de l’OCDE contre la corruption implique, pour les signataires, la mise en place de sanctions « efficaces, proportionnées et dissuasives», surtout concernant les cas de « corruption d’agent public étranger ». Même si cet accord est ratifié par la plupart des pays de provenance des multinationales depuis son adoption en 1998, très peu de cas ont abouti à des peines réellement dissuasives. Les pays de provenance doivent donc aller plus loin en bloquant par exemple le financement des banques publiques au profit des multinationales corrompues. La Banque Européenne d’Investissement finance par exemple Glencore et beaucoup d’autres multinationales accusées de corruption et de pillage en Afrique par plusieurs rapports. Les pays d’origine pourraient établir des règles strictes concernant la traçabilité des fonds issus de ces transactions pour prévenir les détournements. Aussi, un traité international devrait permettre de conférer une personnalité juridique aux multinationales et leurs filiales pour les mettre face à leurs responsabilités. Les mécanismes tels que « Publish what you pay » de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives, de même que le reporting pays par pays du parlement européen, qui visent à rendre l’information financière disponible, doivent désormais être couplés à des sanctions.

La corruption naissant des connivences entre multinationales et dirigeants dans l’industrie extractive en Afrique est devenue très complexe et globale. Face à cela une approche globale et intégrée entre les pays d’accueil et de provenance est primordiale en lieu et place des tergiversations. Autrement le pillage ne connaîtra pas son épilogue de sitôt, la pauvreté non plus d’ailleurs.

Mauriac Ahouangansi, doctorant-chercheur béninois.

Suivez Afrik.com sur Google News Newsletter